Voici la nouvelle fiche rectificative de la lettre de Chopin, faussement adressée à G. Sand (d’après une fiche ancienne), que nous décrivions dans un précédent article:
Lettre autographe, signée de son paraphe, [adressée à Marie de Rozières (1805-1865), professeur de piano]. [Paris, 9 juin 1849] ; 1 page petit in-4°. « Mettez votre petite lettre dedans — cachetez et envoyez (ou plutôt portez le tout à la poste— vous connaissez ma méfiance). Demain c’est Dimanche 10. Et il faut que cela arrive le 16 à Vars jour de la fête de ma mère. Je vous ai attendu aujourd’hui c’est pourquoi je vous écris si tard. Bonne nuit, rêvez [des] anges. »
Lettre certainement inédite.
Élève de Chopin qui lui offre ses leçons, Marie de Rozières est en retour professeur de piano de Solange Dudevant-Sand à partir de 1840. Durant les derniers mois de la vie de Chopin, elle compte parmi ses fidèles amis.
La lettre a été écrite à Paris, en juin puisque la fête de la mère de Chopin, le jour de la Ste Justyna, est le 16 juin. Le seul dimanche 10 juin dans les années 1840 est le dimanche 10 juin 1849. Ce qui donne la date du billet : 9 juin 1849. Chopin habite alors 74 rue de Chaillot. La rupture entre Chopin et George Sand est consommée depuis juillet 1847. Ce billet n’a pas pu être adressé à l’écrivain.
Dans la correspondance de Chopin (édition française, vol. 3), la première lettre publiée du compositeur à Mlle de Rozières date de juillet 1844, n° 525 (auparavant, toutes les lettres à Mlle de Rozières sont de George Sand), d’autres lettres suivent au fil des années, souvent pour demander à Mlle de Rozières d’envoyer depuis Paris des lettres ou des colis à Varsovie. Dans la lettre n° 591 de l’automne 1845, depuis Nohant, Chopin confie à Mlle de Rozières un courrier pour sa mère, comme il l’a fait en juillet 1844 ; même chose à la Pentecôte 1846, lettre n° 611. Dans la lettre n° 620, Nohant le 1er septembre 1846, Chopin écrit en finale : “Bonjour, bonsoir, bonne nuit, je vous serre la main”. Ces consignes de Chopin pour son courrier, ainsi généralement adressées à Marie de Rozières à partir de 1844, ne sont jamais de tout temps destinées à George Sand qui n’est pas mise à contribution pour ces tâches de commissionnaire.
Lorsque Louise, la soeur aînée de Chopin, vient en France au cours de l’été 1844, un lien d’amitié durable se noue entre elle et Marie de Rozières (Chopin à Mlle de Rozières le 22 oct. 1844 : “Ma soeur […] me prie de vous dire combien elle vous aime et qu’elle va vous écrire”). Dans la lettre n° 591, Chopin invite Mlle de Rozières à « glisser un mot pour Louise« , ajoutant « cela lui fera un extrême plaisir« . Dès lors Marie de Rozières prend sans doute l’habitude de joindre aux courriers du compositeur à sa famille un mot pour Louise – mais peut-être aussi pour Justyna Chopin à l’occasion de sa fête.
La formule finale de la lettre semble être, on pourrait dire en toute logique : “Bonne nuit, rêvez [des] anges”. Chopin est très malade et fatigué ce soir-là. Cela explique probablement son oubli du mot «des». La terminaison de son paraphe en chute sans fin est éloquente sur son état.
Posté diligemment, le courrier de Chopin est arrivé à Varsovie comme prévu ! « J’ai reçu ta lettre le 16 courant », écrit Justyna Chopin dans sa réponse de la deuxième moitié de juin 1849, réponse dans laquelle il n’est pas fait mention de Marie de Rozières. Désormais perdue, cette lettre en polonais de la mère de Chopin faisait partie de la collection de Maria Ciechomska, la petite-fille de Louise Jędrzejewicz. Elle se trouve sous le n° 667 dans l’édition polonaise de la correspondance du compositeur, mais ne figure pas dans l’édition française. Elle avait été publiée initialement en 1904 dans sa version originale et dans une traduction défectueuse en français.
Bibliographie :
Frédéric Chopin, Correspondance, édit. et trad. par Bronislas Édouard Sydow, avec Suzanne et Denise Chainaye et Irène Sydow, Paris, 1960, rééd. 1981, vol. III.
- Korespondencja Fryderyka Chopina, édit. par Bronisław Edward Sydow, Varsovie, 1955, vol. II.
Mieczysław Karłowicz, Niewydane dotychczas pamiątki po Chopinie [Souvenirs de Chopin inédits jusqu’à présent], Varsovie, 1904.
— Souvenirs inédits de Frédéric Chopin, trad. fr. par Laure Disière, ParisLeipzig, 1904.
Cette recherche passionnante nous a été très gentiment fournie par Madame Sophie Ruhlmann, spécialiste de Chopin que nous remercions ici.